L’ÉTUDE PRÉLIMINAIRE, LE CONCEPT ET SON APPLICATION AU PROJET

Exposition, ”Les Splendeurs du Maniérisme en Flandre ». Musée des flandres, Cassel

 

Erwin Panofsky, Idea, Le « Maniérisme » [Le propos ] selon lequel … … la révolte presque passionnée qui commence à s’en prendre généralement à la rigidité des règles et plus particulièrement aux règles mathématiques ; de même que l’art typiquement maniériste brise et courbe les formes équilibrées et universellement reçues du Classicisme, au profit d’un système plus intense d’expressions, [ … ] et que les formes se tordent et se courbent comme dépourvues d’ossature et d’articulations ; de même que la représentation de l’espace, dont l’agréable clarté, lors de son plein essor, reposait sur une théorie rationnelle de la perspective, disparaît au profit d’une manière particulière et quasi médiévale de composer, qui ramasse les formes en un unique entassement provocant « une surcharge souvent insupportable

Le principe de ma proposition privilégie la discontinuité des espaces et des univers de signification, sous forme d’une fragmentation en trois registres (se modulant) incluant des parcelles d’oeuvres qui agissent en tant qu’identité graphique de l’exposition selon une esthétique maniériste. … un langage maniériste de la discontinuité, du recouvrement, de l’opposition des parties au tout avec les thématiques formelles du labyrinthe et de la ligne serpentine  

Le détail, le fragment …

un travail graphique sur la notion de discontinuité Nous proposons de concevoir l’identité graphique de l’exposition « Splendeurs du Maniérisme dans la peinture flamande » à travers une interprétation contemporaine du langage plastique de cette « bella maniera » décrite par Vasari, en tenant compte des spécificités formelles et culturelles du maniérisme flamand. Nous proposons de construire l’identité visuelle de l’exposition autour de trois principes fondamentaux qui structurent l’esthétique maniériste.

« La grâce excédant la mesure » (Vasari) Autrement dit, ce qui est de l’ordre de l’hyperbole, de l’exagération. En particulier autour du principe de la « figura serpentinata », cette figure serpentine – qui contient en elle-même la ligne serpentine – est une figure humaine dont les poses sont complexes, artificielles et en même temps fluides, lesquelles procèdent d’un dépassement délibéré de la vraisemblance, la peinture maniériste multipliant les étirements,

Les contorsions, les lignes sinueuses et les figures amphores.

Les contradictions des parties au tout. « la licence dans la règle » fondée sur la coexistence de propositions plastiques contraires (la discordia concors). Aux perspectives et aux compositions unitaires des classiques, les artistes maniéristes opposent les espaces et les compositions discontinues qui multiplient les points de fuites, les angles de vues, les schémas régulateurs, les ruptures de cadrage, les lignes obliques afin de saturer l’espace de signes, d’une abondance de détails, dans une conception de l’image devenue analytique, labyrinthique. Le maniérisme flamand présente une spécificité : l’opposition des parties au tout, passe souvent par la coexistence de vocabulaires stylistiques différenciés, en associant les référents italiens classiques comme maniéristes à l’héritage analytique et objectiviste de la peinture flamande du quinzième siècle. Du point de vue visuel, cette esthétique de la contradiction, et de la co-présence, sera transposée par un travail sur : le détail, le fragment ; en particulier sur cette résistance de la description flamande de l’objet au langage italien de l’allégorie par un travail graphique sur la notion de discontinuité

… le montré ; le caché ; le labyrinthe

La crise du sens Pour Vasari, la « bella maniera » est avant tout celle du dessin, mais aussi la production de la pensée Le Maniérisme est un art métaphorique et allégorique, un art d’emblèmes procédant à la fois du goût italien, de l’allégorie et du goût flamand du réalisme social entre la réalité et le fantastique, le prosaïque et le poétique, la normalité sociale et le monstrueux, le descriptif et le bizarre. De cette inquiétude sur le sens du monde qui traverse le maniérisme européen et flamand, nous proposons de dégager deux principes visuels : le montré et le caché (le dit et les non dits des allégories, des symboles et des rébus) le labyrinthe signe par excellence des jardins maniéristes (non sans quelque résonance avec les labyrinthes de la « figura serpentinata » est conçu pour se perdre dans un lieu qui est tout à la fois réel et intime, matériel et spirituel, infiniment grand et infiniment petit À travers de telles dualités, et dans le contexte spécifique de l’exposition, le labyrinthe est perçu comme une cartographie de l’espace dual de la peinture flamande : (espace cosmique et social/espace intime ; espace optique/espace symbolique ; espace scénique/espace analytique (celui du détail) ; espace psychologique (le portrait)/espace objectal) … … recoupant ainsi au moins deux des quatre binômes de la muséographie du musée départemental de Flandre, Cassel (terre et ciel ; mesure et démesure) Le labyrinthe ou son indice constitue graphiquement un système signalétique qui joue ainsi de l’espace articulé et discontinu du musée (précisément selon le principe visuel de discontinuité maniériste). ( )

 

Une thématique du caché, du secret,
de la signification indirecte, celle des tableaux-rébus de l’époque suggérés,
ici, par une structure de la superposition  

Notre proposition repose sur le langage maniériste qui privilégie la discontinuité des espaces et des univers de signification, sous forme d’une fragmentation en trois registres superposés de parcelles d’œuvres agissant comme identité visuelle de l’événement et comme modalité plastique de reconnaissance de l’esthétique maniériste ; pour cela, la composition de ce visuel propose (en particulier, par le bandeau central qui en occulte une partie par un rose ancien, écho aux roses dématérialisants et aux couleurs acides de la peinture maniériste) une thématique du caché, du secret, de la signification indirecte, celle des tableaux-rébus de l’époque qui sont suggérés, ici, par une structure de superposition.  

… le regard de la femme du registre bas est songeur, comme s’il portait le rêve, l’idea, du parcours intérieur hors de la réalité, dans le labyrinthe de l’imaginaire

L’opposition directionnelle des visages et des regards s’inscrit dans une conception maniériste du fragment et de l’opposition des parties au tout, néanmoins unifiées ici pour faciliter la lisibilité de l’ensemble et le dynamisme de la conception par ces regards qui s’échappent du champ de l’image, promesse d’une découverte au-delà, en particulier par le jeu des expressions : les yeux mi-clos de la femme du registre supérieur, alors que le regard de la femme du registre inférieur est plus songeur comme s’il portait l’autre continent du Maniérisme, celui du rêve, de l’idea, du parcours intérieur hors de la réalité, dans le labyrinthe de l’imaginaire. ( )

Le labyrinthe est résumé graphiquement, emblématisé par la ligne serpentine qui se décline dans les trois parties de l’image

La troisième composante du principe visuel de notre proposition est la figure indirecte mais indiciale du labyrinthe qui traverse le registre inférieur par la complexité du plissé du turban de la femme qui vole au vent, comme du brocart qui apparaît en arrière-plan sur les deux registres. Mais le labyrinthe est ici avant tout résumé graphiquement, emblématisé par la ligne serpentine (la linea serpentinata) qui se décline dans les trois parties de l’image. En haut par le sentier sinueux ; en bas par le voile de la femme, et dans la partie centrale occupé par le bandeau rose dont les bords présentent une ondulation, laquelle délimite également le ciel de l’image et sa base par un jeu d’échos visuels, jeu musical /jeu poétique.

Un signe emblématique, la linea serpentinata pour une cohérence thématique avec l’objet de l’exposition, réinterprétée selon un principe de fluidité graphique,

Le traitement des registres images est spécifique : plutôt que de délimiter les champs visuels par des lignes droites, nous avons introduit une ondulation pour une fluidité plastique qui adoucit les transitions et qui évite une césure trop dure des images et qui dynamise la composition d’ensemble une cohérence thématique avec l’objet de l’exposition, dont nous répercutons un signe emblématique, la linea serpentinata réinterprétée selon un principe de fluidité graphique, le Maniérisme étant une esthétique de la fluidité et de la transformation ( jusqu’à l’instabilité) là où le Classicisme est plutôt une esthétique de l’objectivation et de stabilité (donc de la ligne droite) l’installation d’une ligne graphique propre à l’exposition, d’une spécificité bien repérable qui sera déclinée dans les supports de communication de l’événement, comme les affiches, les annonces presse ou les flyers. Ainsi, la communication autour de l’exposition construit en même temps une identité visuelle reconnaissable entre toutes,

Le langage maniériste de la discontinuité, du recouvrement, de l’opposition des parties au tout avec les thématiques formelles du labyrinthe et de la ligne serpentine …  

Ainsi se trouvent synthétisés, en une seule proposition, le langage maniériste de la discontinuité, du recouvrement, de l’opposition des parties au tout avec les thématiques formelles du labyrinthe et de la ligne serpentine, dans une mise en page qui tente de privilégier la lisibilité des référents culturels flamands de l’exposition et l’impact visuel de la communication, lui-même associé à la force de suggestion des regards orientés en profils/trois-quarts et inversés comme s’ils portaient une énigme impénétrable, un secret qui serait celui de la beauté maniériste, de ce cabinet des merveilles que sera le contenu de l’exposition,

Les Splendeurs du Maniérisme en Flandre. Musée des flandres, Cassel

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