L’esthétique de la citation de tableaux par fragments sur des dépliants ou des plaquettes de musées se justifie par deux catégories de contraintes de lecture.
Explication sémiologique suite à la controverse sur mes utilisations
de « parcellisations » des reproductions d’œuvres utilisées pour la communication.
voir ici : https://toulet.fr/goya-la-vie/
Les contingences de composition ou la contrainte de forme.
Le tableau, le plus souvent de grandes dimensions, est un ensemble complexe de signes iconiques. Le dépliant est, lui, un support de petit format ; la reproduction en réduction proportionnée d’un tableau sur un dépliant ne peut avoir l’impact de l’original : les informations visuelles, trop nombreuses et concentrées sur une petite surface, deviennent alors confuses. D’où la nécessité de sélectionner un détail de l’œuvre — choisi en fonction de sa charge visuelle, émotionnelle, signifiante, de son caractère exemplaire — de manière à restituer sous une formule synthétique toute la force du tableau.
En somme. Il vaut mieux diffuser sur un petit format une information essentielle par un signe choisi, en fonction de sa pertinence, qu’une surcharge d’informations visuelles sous la forme d’une collection aléatoire de signes, potentiellement génératrice de lectures multiples, d’erreurs de compréhension et de dilution du sens.
Les contingences fonctionnelles ou la contrainte de sens.
Le dépliant et la plaquette n’ont pas les mêmes fonctions qu’un catalogue : le catalogue est un répertoire raisonné d’œuvres intégralement reproduites, référencées et commentées brièvement ; sa fonction est à la fois pratique et didactique. Le dépliant n’a, lui, aucune fonction didactique, ni même descriptive : il avertit que telle exposition est programmée à tel moment et à tel endroit ; il invite son lecteur à venir la visiter et/ou visiter les collections permanentes du musée ; sa fonction est informative, le plus souvent liée à une contingence événementielle. La plaquette, elle, permet de préciser et d’affiner cette information sur les composantes d’une exposition ou d’une collection. Mais, dans tous les cas, un dépliant ou une plaquette n’ont pas de fonction de monstration, seulement d’annonce ou d’information ; leur rôle n’est pas de montrer quelque chose, mais de provoquer le désir de voir.
Ce sont des outils de communication visuelle qui fonctionnent sur le mode de la suggestion : un détail bien choisi concourt plus sûrement à ouvrir l’imagination et à intensifier le désir de venir au musée, qu’une reproduction redondante, altérée par les contraintes de format et d’impression. Il en résulte que l’esthétique du fragment visuel, appliquée aux supports du dépliant et de la plaquette, censée être objective et neutre, ce qu’elle n’est nullement, à cause précisément des transformations entre l’objet et sa photographie, et des intentions par trop démonstratives que sous-tend ce choix de la reproduction.
Dès lors, le fragment visuel est préférable pour trois raisons :
a – Il est un aperçu de ce que le spectateur va voir ; il agit vis-à-vis de lui comme un aiguillon du désir, le prépare à l’impact de l’œuvre par un dévoilement ténu qui en conserve tout le mystère, au contraire de l’objectivation réductrice qu’induit l’esthétique de la reproduction documentaire.
b – Il procède à la fois de l’essentiel et de l’humilité. Essentiel, car ce fragment bien choisi peut porter l’essence d’une œuvre : sa caractéristique formelle dominante, sa signification interne constante et sa portée au regard de l’histoire de l’art. Humilité, parce que ce fragment ne prétend pas rivaliser avec son modèle, sa matrice — à la différence de la reproduction photographique, qui non seulement se compare à l’original au risque de l’avatar, mais en plus s’y substitue fatalement —. Cette humilité du fragment procède de l’humilité du graphiste : citer plutôt que copier, suggérer plutôt que de se substituer à l’artiste ; servir l’œuvre plutôt que de se l’approprier par mimétisme.
Le fragment visuel agit comme une image mentale de l’œuvre.
En effet, l’œil n’enregistre pas uniformément tous les détails d’un tableau, comme le décrivent les lois de la Gestaltthéorie sur le fonctionnement de la perception visuelle : il sélectionne les informations reçues, en fonction de la prégnance d’une figure ou d’une structure (couleur, lumière, ligne de force). L’esthétique du fragment visuel se fonde, en fait, sur les acquis de la Gestaltthéorie et de la psychophysiologie de la perception : la mémorisation de l’ensemble des signes d’un tableau étant impossible, la sélection d’une figure ou d’une structure prégnante facilite la mémorisation de l’information donnée — en l’occurrence, l’annonce de l’exposition — car cette opération de sélection fonctionne sur le modèle des mécanismes de la mémoire. Ce d’autant que les temporalités sociales de la lecture d’un tableau et de la lecture d’un dépliant ou d’une plaquette sont diamétralement opposées : la première est, en principe, patiente, attentive, silencieuse ; la seconde est toujours brève, interrompue, concurrencée par les milliers d’autres informations reçues quotidiennement. À titre d’exemple, pour les seules sollicitations publicitaires et commerciales de toute nature (affiches, spots TV, enseignes, annonces, etc.), une personne reçoit respectivement, en Europe et aux États-Unis, entre 300 et 600 messages par jour ! Seuls 2 à 3 % sont efficaces.
Dans un tel contexte, le graphisme du fragment visuel, qui condense l’œuvre en une icône-titre, est non seulement approporié en termes de forme et de sens ; il est, plus encore, indispensable à l’efficacité du message.
FL/Epictetus