« On écrit, on trace, on imprime, comme un caillou jeté dans l’eau froisse l’onde de ses rides.
Ouvrons un livre. Est-il forêt obscure ?
Les lettres s’éploient sur la surface trame devenue par où l’œil oscille, cherche, guette, devine, interprète,
guidé dans son dessein par l’arabesque des accolades et des pointillés au gré de la marge qui sertit son pourtour.
L’œil circule, rôde, se promène, furette.
Lire, ou voir ? »
Signes, lettres et bâtonnets Comment s’orienter dans une forêt ?
Sous le ramage des arbres de la futaie, les sentes toutes cabossées d’ornières, étoilées comme les lignes de la main, nous projettent dans l’hébétude.
Le livre de la nature est par trop confus. Ici nulle flèche, nulle pancarte, nulle main peinte à même le mur ne pointe d’index salvateur en guise d’augure familier. A tâtons doit-on emprunter une à une chaque voie, se perdre dans l’arborescence des chemins – ou suivre tout droit un sentier quelconque, abrupt et revêche, au risque de retourner sur ses pas ? Les signes se multiplient et nous sidèrent. Sans ordonnance. De son bâton le promeneur imprime sur le sable d’obscures balises. Sur le tronc de l’arbre l’enfant grave de son canif ses prophéties amoureuses. Au sein du fouillis rêche du monde nous traçons nos lettres et bâtonnets. Pour s’y retrouver, ou s’y perdre ?
Les mains se substituent parfois à la parole absente. Des coups secs et répétés, discontinus, inventent de nouveaux codes.
On écrit, on trace, on imprime, comme un caillou jeté dans l’eau froisse l’onde de ses rides. Ouvrons un livre. Est-il forêt obscure ? Les lettres s’éploient sur la surface trame devenue par où l’œil oscille, cherche, guette, devine, interprète, guidé dans son dessein par l’arabesque des accolades et des pointillés au gré de la marge qui sertit son pourtour. L’œil circule, rôde, se promène, furette. Lire, ou voir ? Du bout de l’œil. Au W de la typographie s’ouvre l’aire nouvelle de la topographie. Forêt où l’œil suit à loisir ses méandres. Ses boucles et lisières. Ses rivières interdites. La page est une broderie piquetée de macules. Un pointillé de sens que rehausse le col de la marge par où s’engouffre le vent de l’œil, véhiculé, transporté. Un sas.
Doit-on rester fidèle sur la page à la courbe supposée de l’œil – ou la dénouer comme un ruban et l’inventer ? La guider au gré des balises ? Comment écrire le monde ? On l’ornemente, on le justifie, on en choisit le corps et le caractère à la manière d’un bouquet de fleurs. En nombre impair, d’une hauteur inégale, que les tiges ne reposent pas sur le col du vase, s’élançant toutes droites du vase sans être trop dispersées ni trop serrées. Tantôt envolée pure et gracieuse, tantôt inclinées en un pas de danse. Ainsi des lettres, signes, gravures, dessins, diagrammes objet d’une mise, d’une façade, d’une montre.
On passe le doigt sur le col de la page. C’est le vide qui permet la lecture. Les lettres respirent en passant à la ligne. Parfois sans justification – ni rime ni raison. Ou en réserve. Sur la touche. En marge. Par où le sens, mutin, se glisse à l’interstice. Le corps danse. On lit du bout des doigts, éparpillant alentour nos fleurs de papier qui s’ouvrent dans l’eau, en suivant le chemin de l’œil épars dans la forêt.
Eric Bullot, juin 1994
Au loin, sur les croupes âpres et vertes du Jura, les lits jaunes des torrents desséchés dessinaient de toutes parts des Y. Avez-vous remarqué combien l’Y est une lettre pittoresque qui a des significations sans nombre ? L’arbre est un Y ;
En sortant du lac de Genève, le Rhône rencontre la longue muraille du Jura qui le rejette en Savoie jusqu’au lac du Bourget. Là, il trouve une issue et se précipite en France. En deux bonds il est à Lyon.
Au loin, sur les croupes âpres et vertes du Jura, les lits jaunes des torrents desséchés dessinaient de toutes parts des Y. Avez-vous remarqué combien l’Y est une lettre pittoresque qui a des significations sans nombre ?
L’arbre est un Y ; l’embranchement de deux routes est un Y ; le confluent de deux rivières est un Y ; une tête d’âne ou de boeuf est un Y ; un verre sur son pied est un Y ; un suppliant qui lève les bras au ciel est un Y. Au reste cette observation peut s’étendre à tout ce qui constitue élémentairement l’écriture humaine.
Tout ce qui est dans la langue démotique y a été versé par la langue hiératique. L’hiéroglyphe est la racine nécessaire du caractère. Toutes les lettres ont d’abord été des signes et tous les signes ont d’abord été des images. La société humaine, le monde, l’homme tout entier est dans l’alphabet. La maçonnerie, l’astronomie, la philosophie, toutes les sciences ont là leur point de départ, imperceptible, mais réel ; et cela doit être.
L’alphabet est une source. A, c’est le toit, le pignon avec sa traverse, l’arche, arx ; ou c’est l’accolade de deux amis qui s’embrassent et qui se serrent la main ;
D, c’est le dos ;
B, c’est le D sur le D, le dos sur le dos, la bosse ;
C, c’est le croissant, c’est la lune ;
E, c’est le soubassement, le pied-droit, la console et l’architrave, toute l’architecture à plafond dans une seule lettre ;
F, c’est la potence, la fourche, furca ;
G, c’est le cor ; H, c’est la façade de l’édifice avec ses deux tours ; I, c’est la machine de guerre lançant le projectile ;
J, c’est le soc et c’est la corne d’abondance ;
K, c’est l’angle de réflexion égal à l’angle d’incidence, une des clefs de la géométrie ;
L, c’est la jambe et le pied ;
M, c’est la montagne ou c’est le camp, les tentes accouplées ;
N, c’est la porte fermée avec sa barre diagonale ;
O, c’est le soleil ;
P, c’est portefaix debout avec sa charge sur le dos ;
Q, c’est la croupe avec sa queue ;
R, c’est le repos, le portefaix appuyé sur son bâton ;
S, c’est le serpent ;
T, c’est le marteau ;
U, c’est l’urne ;
V, c’est le vase (de là vient qu’on les confond souvent) ; je viens de dire ce que c’est qu’Y ;
X, ce sont les épées croisées, c’est le combat ; qui sera vainqueur ? on l’ignore ; aussi les hermétiques ont-ils pris X pour le signe du destin, les algébristes pour le signe de l’inconnu ;
Z, c’est l’éclair, c’est Dieu. Ainsi, d’abord la maison de l’homme et son architecture, puis le corps de l’homme, et sa structure et ses difformités ; puis la justice, la musique, l’église ; la guerre, la moisson, la géométrie ; la montagne, la vie nomade, la vie cloîtrée ; l’astronomie ; le travail et le repos ; le cheval et le serpent ; le marteau et l’urne, qu’on renverse et qu’on accouple et dont on fait la cloche ; les arbres, les fleuves, les chemins ; enfin le destin et Dieu,
voilà ce que contient l’alphabet. Il se pourrait aussi que, pour quelques-uns de ces constructeurs mystérieux des langues qui bâtissent les bases de la mémoire humaine et que la mémoire humaine oublie, l’A, l’E, l’F, l’H, l’I, le K, l’L, l’M, l’N, le T, le V, l’X, et le Z ne fussent autre chose que les membrures diverses de la charpente du temple.
Victor Hugo
>>>>>1978/2010>>>>>>>> C’est souvent par hasard que se font les rencontres d’où naissent de belles amitiés.
>>>>>>>> Ainsi en est-il de ma rencontre avec Denis Toulet – c’était en 1978 ! – alors que j ‘étais en situation de lui confier la création de la première identité visuelle du festival de la Côte d’Opale. Depuis cette époque, j’ai été constamment intéressé par l’activité créatrice de ce plasticien, notamment dans les domaines de l’édition et du graphisme. >>>>>>>>>>>>> Découvrant au fil des ans ses travaux, j’ai souvent eu le sentiment que Denis Toulet tentait « de faire bouger les lignes » de son art allant jusqu’à développer parfois une forme de radicalité. >>>>>>>>>>
Était-ce là le défaut de ses qualités ? Ce serait sans conséquence pour ce créateur exigeant si de temps à autre il n‘en venait à douter de son talent.
>>>>>>>>> >>>>>>>>>>>>>>>> Fort heureusement, l‘exposition que nous propose en ce début 2010 l‘école d’art du Calaisis souligne la cohérence de la démarche artistique d ‘un créateur singulier et attachant de même qu’elle nous annonce son retour sur la côte d’opale pour y entreprendre une nouvelle étape de sa vie d‘artiste et d‘homme de culture.>>>>>>>>
> Ainsi, sans doute aurons nous l’occasion de découvrir prochainement une dimension de son oeuvre peu souvent divulguée… car c’est rarement par hasard que l’on revient à la source de son parcours de création. >>
Francis Senet