Une forte odeur d'encre d'imprimerie
… Le texte comme série de caractères imprimés se distingue du texte comme résultat d’un dispositif intellectuel. En ce sens, tous les livres ne sont pas des textes. Texte sera pris ici au sens de réflexion, d’auteur et de dispositif conceptuel original, ce qui limite considérablement l’usage et l’emploi du mot texte. On dit souvent commentaire de texte, explication de texte pour dire que le texte est présent dès l’instant où il recèle du sens, sens qui va au-delà de la simple suite de caractères imprimés. Il y aurait ainsi un usage noble du texte, celui de la rédaction de la parole authentique d’un auteur : lire un auteur dans le texte, restituer un texte, se rapporter au texte, variante d’un texte par exemple. Mais il y aurait aussi un usage faible du texte lorsqu’il se réduira au caractère imprimé, l’usage appauvri et formel de la typographie. Le verbe latin textere (tisser) traduit cette ambivalence puisqu’en renvoyant au tissage, il sous-entend deux perspectives différentes : tisser en créant un motif ou tisser en suivant un motif. Si un livre est habituellement du texte imprimé, il n’est pas souvent un texte imprimé. La présence ou l’absence de dispositif dans le texte serait le moyen de faire la différence entre les deux ; présence ou absence s’envisageant comme le moyen d’apprécier la valeur du texte. On passe évidemment sur l’absence de dispositif propre à l’artiste comme justification du texte, comme c’est le cas dans bon nombre d’installations hypermédia de type générateur de texte. En ce sens, par dispositif, nous entendons ce qui répond à une véritable problématique, autrement dit ce qui possède une intention d’auteur, tout le contraire en fait du procédé, de la recette d’écriture ou de l’aléatoire algorithmique qui ne sont que des artifices ou des formules toutes faites…
Alain Milon (le philosophe, pas l’homme politique) in « Sauver le texte de son malheur de livre »
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